• Sauvons la médecine générale

    par le Docteur Antoine Demonceaux

    * Antoine Demonceaux ne cautionne que les contenus éditoriaux dont il est spécifiquement le signataire. Tous les autres contenus diffusés, qu’ils soient de nature commerciale ou éditoriale, ne sauraient engager sa responsabilité.

    Sauvons la médecine générale

     

     

    Nous y sommes : les médecins libéraux font grève.

    Après deux épisodes silencieux pendant lesquels ils ont manifesté en portant des brassards et en affichant leurs revendications dans les salles d’attente, voilà qu’ils ferment leurs cabinets médicaux. 

    Débordés de travail, usés par une administration tentaculaire, dévalorisés dans leur pratique, beaucoup d’entre eux sont même prêts à rendre leur blouse.

    Comment en sommes-nous arrivés là ?

    Voici quelques éléments de réponse et des idées de sortie de crise.

    De la déception chez les médecins

    Pour la plupart des médecins, ce métier est une vocation. Pourtant, la réalité du terrain les fait rapidement déchanter. 

    Alors que leurs longues études les préparent à prendre en charge des maladies qui nécessitent une grande expertise (comme le diabète, l’hypertension, les suites d’infarctus ou les cancers), leur pratique quotidienne est beaucoup plus terne. Elle se résume souvent à des certificats à la chaîne, de l’aiguillage de malades et de la « bobologie » en série. 

    Côté médecin comme côté patient, on a le sentiment que la qualité des consultations se dégrade faute de temps, avec pour conséquence une détérioration à grande vitesse de notre système de santé.

    Les médecins généralistes garantissent l’équilibre de tout le système de santé 

    Notre système de santé repose en grande partie sur ces troupes en première ligne que sont les médecins généralistes. Mais de nombreux patients, ne trouvant pas de médecins traitants, se tournent directement vers les urgences, contribuant un peu plus à leur encombrement. 

    En plus de cela, la suppression des lits hospitaliers fait que les malades sont renvoyés chez eux alors qu’ils devraient rester hospitalisés. Ces malades, les médecins généralistes pourraient tout à fait les prendre en charge, ils en ont la compétence. Le problème est qu’ils manquent de temps. Dans ma pratique, j’ai pu prendre en charge des patients sous oxygène, nécessitant des soins postopératoires non vitaux ou en soins de support cancérologiques. Aujourd’hui, la saturation des cabinets médicaux rend ce service de santé de plus en plus difficile.

    Beaucoup de médecins décident alors de changer de registre. Ils abandonnent la médecine de famille pour se tourner vers des disciplines plus attrayantes comme la médecine esthétique ou la nutrithérapie. Ces pratiques, plus intéressantes et/ou plus rémunératrices attirent de plus en plus ces professionnels de santé. Cela représente d’autant moins de praticiens en médecine générale.

    Plus de temps pour l’humain

    La vocation du médecin généraliste n’est pas seulement la science ou la haute technicité, intellectuellement passionnants, c’est avant tout l’humain. Le médecin a pris l’option de le soigner pour l’aider à préserver ou retrouver une bonne santé.

    Malheureusement, les longues études médicales ne laissent que peu de place à la connaissance humaine. C’est ce que j’ai pu constater avec mes nombreux stagiaires en fin d’études. Ils étaient en effet très étonnés du temps passé à l’écoute de souffrances tant physiques qu’émotionnelles. 

    La majorité des médecins ont toujours cette passion de l’humain mais, hélas, de moins en moins de temps à y consacrer. Et les patients ne s’y retrouvent plus, ne trouvant pas l’interlocuteur qu’ils aimeraient avoir pour parler d’eux.

    Trop de pressions

    De nombreuses études sur l’épuisement des médecins généralistes le montrent, ils sont soumis à des pressions parfois insupportables :

    • Pressions des patients toujours plus exigeants, peut-être parce que l’on n’a pas toujours le temps de les écouter. D’ailleurs, la relation malade-médecin entre comme deuxième critère d’épuisement cité par les médecins eux-mêmes. Un comble lorsque l’on sait leur passion pour ce métier.
    • Pression des laboratoires pharmaceutiques qui vantent à longueur de revues médicales et de visite au cabinet la suprématie de leurs molécules.
    • Pression aussi de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) qui manie la carotte et le bâton. Carotte sous forme de rémunération aux bons élèves qui prescrivent les « bons » médicaments. Bâton si vous avez une patientèle vieillissante ou socialement défavorisée qui peut parfois faire déraper un peu les prescriptions. Dans le cadre de l’île de la Réunion, la caisse d’assurance maladie a demandé aux médecins de passer la consultation à 10 minutes pour pallier le manque de professionnels de santé1. Pour rappel, en France, la moyenne de durée de consultation est de 16 minuteset une récente étude montrait qu’après 3 minutes, le médecin n’écoute plus son patient pour se concentrer sur sa pratique médicale.

    Le médecin de famille est devenu un aiguilleur de malades

    Je vous le disais, le médecin généraliste est formé pour prendre en charge toutes les pathologies médicales. Cela ne suppose pas qu’il sait tout, mais il en connaît suffisamment pour gérer les pathologies aiguës et chroniques. Le problème, c’est que par manque de temps, il se trouve dans l’obligation de déléguer à ses pairs spécialistes qui ne le considèrent pas toujours comme un égal. Si certains examens médicaux ou gestes spécialisés réclament sans contexte l’intervention d’un spécialiste, la prise en charge des maladies chroniques reste de la compétence du médecin généraliste. Il a pour cela besoin de temps. En ce sens, la demande de rémunération des actes médicaux complexes à 50€ me semble parfaitement justifiée.

    De la « bobologie » à la chaîne

    Pourquoi faire autant d’études difficiles pour ne soigner que des rhumes ? Le médecin devrait avoir à soigner essentiellement des problématiques qui lui incombent : des pathologies chroniques et celles qui sont aiguës et graves nécessitant un diagnostic médical élaboré. 

    L’épuisement total des troupes est proche et beaucoup quittent le navire, aggravant davantage la situation. Les décideurs médicaux sont trop fiers pour ne rien vouloir lâcher. Il suffit de voir combien il a été difficile de déléguer aux pharmaciens les vaccinations. Il a fallu le covid19 pour accélérer le système. La consultation de premier recours en pharmacie est sans doute pour bientôt. 

    Il n’y a plus de temps à perdre !

    Le bateau coule. Aujourd’hui, seuls 10 % des médecins formés acceptent de s’installer en libéral tant les conditions de travail se sont dégradées. 

    Le temps manque pour réaliser des consultations de qualité. La nouvelle mode, dictée par un prix de consultation ridicule, propose le fonctionnement suivant « un problème, une consultation ». La prise en charge globale du patient, somatique, psychique et environnementale est condamnée. 

    Nous pouvons faire le constat que la qualité de prise en charge du patient en France, longtemps vantée, est en train de se dégrader très rapidement. D’ailleurs la sur-prescription des médicaments (antibiotiques, anti-inflammatoires, psychotropes) remonte en flèche et les examens complémentaires biologiques et radiologiques sont au plus haut. 

    La longueur de la consultation ne fait certes pas tout. La capacité d’écoute et d’empathie est un des principaux points pour renouer le dialogue entre patient et médecin. Cela nécessite du temps.

    Quelques propositions à défaut de solutions

    Face à l’accumulation des contraintes administratives, le médecin de famille devrait avoir les moyens d’embaucher des collaborateurs.trices pour l’aider dans ces tâches toujours plus tentaculaires et chronophages. Là encore, le passage à une consultation à 50€ est justifié.

    Face à l’excès de « bobologie », pourquoi ne rien vouloir lâcher aux professionnels de santé non-médecins : pharmaciens, kinésithérapeutes, infirmières ou puéricultrices ? Ils pourraient prendre en charge une multitude de problématiques courantes et ainsi soulager le corps médical. 

    Il faudrait pour cela, que les patients acceptent…

    Un kinésithérapeute formé pourrait par exemple prendre en charge une lombalgie aiguë y compris dans la prescription d’examens complémentaires, et une infirmière puéricultrice les pathologies bénignes de l’enfant.

    Sur le plan de la gestion des émotions des patients, là encore, il faut des changements. Le temps consacré durant les études médicales à la connaissance de la psychologie est aujourd’hui très insuffisant. Ce manque met souvent en difficulté les médecins dans la prise en charge des problèmes émotionnels. Il est indispensable que ces connaissances soient renforcées et que les psychologues prennent une place plus importante dans le système de soin.

    Sauvons la médecine générale !

    Ce métier de médecin de famille, que j’ai pratiqué pendant près de 40 ans, peut disparaître si rien n’est fait pour le revaloriser et le réorganiser. 

    Malheureusement, le débat aujourd’hui se concentre beaucoup trop sur la question du coût de la santé au détriment de la qualité des soins. Des techniciens ministériels ont cru bon rationner le nombre de médecins en instaurant un « numerus clausus » au plus bas, partant du principe que moins de médecins coûterait moins cher à la société. Ils ont simplement oublié que la population vieillit, y compris chez les médecins dont nombre partent en retraite… 

    Le choix que j’avais fait d’être en secteur d’honoraires libres, tout en respectant les possibilités financières de chacun, m’a permis de pratiquer une médecine où la prise en charge médicale pouvait s’allier à l’écoute du patient. Je suis certain que mes jeunes confrères rêvent de cette médecine. Le coût augmenté de la consultation sera largement compensé par une meilleure prise en charge de la population.

    Les médecins généralistes ne demandent qu’à obtenir les moyens de pratiquer leur art, aidons-les en ce sens.

    Prenez bien soin de vous, 

    Dr. Antoine Demonceaux

     

    * Antoine Demonceaux exerce la médecine depuis 35 ans en cabinet libéral, et ponctuellement à l'hôpital et en EPHAD. L’homéopathie l’a toujours accompagné dans sa pratique, mais il est également psychothérapeute et psychanalyste.  

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