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L'affaire Nord Stream : "A qui profite le crime" ?
Après une semaine de spéculations en tous genres concernant les explosions inexpliquées qui ont provoqué quatre fuites géantes sur les deux gazoducs près de l'île danoise de Bornholm, la simultanéité des explosions et l'affirmation des sismologues, qu'il ne s'agissait pas d'un tremblement de terre, ont permis à tous les observateurs d'écarter l'hypothèse d'un accident pour ne retenir que la thèse du sabotage.
Les deux gazoducs éventrés, des milliards de mètres cubes de gaz se sont échappés en mer Baltique.
L’Europe a soudainement pris conscience de l’extrême vulnérabilité de ses infrastructures vitales avec pour conséquences immédiates d’augmenter les incertitudes sur le marché énergétique.
Et, pour parachever la destruction des installations, l'eau de mer qui a envahi les tuyauteries, les a définitivement détruites d'après les premières estimations.
La question que tout le monde se pose est de savoir qui est à l’origine de ce sabotage. Les États-Unis ? La Russie?
Il s’agit là d’un événement historique et pour le comprendre, examinons le contexte : l'Europe traverse une grave crise énergétique due aux sanctions contre la Russie ce qui a obligé les pays européens à importer du gaz hors de prix, de l’inde, de chine notamment qui nous le revend très cher après l’avoir acheté aux Russes. Mais aussi à l’importer des Etats-Unis par bateau ( en doublant leurs exportations vers l’U.E ils ont aussi doublé leurs marges), que l’on peut à tout moment rediriger vers d’autres destinations rendant ainsi l’approvisionnement de l’Europe durablement incertain.
Par ailleurs, l’Asie a aussi d’immenses besoins énergétiques et la production mondiale n’a pas suffisamment augmenté pour satisfaire tout le monde.
Il faut donc se préparer cet hiver à des coupures d’énergie que ce soit de gaz ou d’électricité qui vont concerner les particuliers et les entreprises (Arr. du 22 sept. 2022 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité – JORF N°0224 du 27 sept. 2022) [1].
Un problème durable dont on commence à percevoir les premières conséquences : l’exemple de cette boulangerie industrielle belge qui a vu sa facture d’électricité bondir de 500 % passant de 2000 €/mois à 11 000 €/mois l’obligeant à choisir entre vendre son pain à 18 € la baguette ou fermer boutique…
Cette situation se répète un peu partout en Europe où d’importantes manifestations montrent des chefs d’entreprise brulant leurs factures énergétiques en place publique (Italie, Autriche, Allemagne, Hollande, Slovaquie…) Tous les artisans, agriculteurs, restaurateurs, éleveurs, PME/PMI, industriels, collectivités : des milliers d’entreprises seront mortellement touchées, obligées de mettre leurs salariés au chômage dans une situation ubuesque de forte inflation des prix corrélée à une récession économique.
Les plus touchées sont d’ores et déjà les petites et moyennes entreprises ; les entreprises industrielles sont en train d’être renflouées par les Etats, à commencer avec les fournisseurs d’énergie directement impactés par la hausse du prix du gaz.
Pour éviter la faillite, l’Allemagne vient de renflouer le géant gazier Uniper à hauteur de 15 milliards d’euros. Chez nous, EDF a reçu 10 milliards d’euros, idem pour la Finlande et la Suède, 23 milliards,
En tout, les pays européens ont dépensé 450 milliards d’euros pour compenser les effets des sanctions… Et nous ne sommes pas encore en hiver… Par ailleurs, ces Etats n’ont pas l’argent pour renflouer leurs entreprises, se condamnant à des records d’endettement sur les marchés financiers où les intérêts des dettes augmentent car il devient de plus en plus risqué de prêter à des Etats qui ne font que sauver des entreprises en faillite sans perspective d’amélioration.
Pour aggraver la situation, la Banque centrale européenne (B.C.E.) augmente ses taux directeurs et commence à arrêter de racheter des obligations d’Etat[2] avec pour conséquences à court terme, une explosion des intérêts sur la dette : la boucle infernale est enclenchée : cela va coûter de plus en plus cher de s’endetter et il va falloir de plus en plus s’endetter.
Malheureusement, cette politique-là n’arrête pas l’inflation et ne permet pas non plus d’arrêter la dévaluation de l’euro qui perd chaque jour un peu de sa valeur face au dollar au point de surenchérir excessivement le coût de nos importations et celui de l’énergie…
C’est le serpent qui se mord la queue quand l’industrie, grande consommatrice d’énergie, annonce la faillite en Allemagne du géant Hakle (ce qui fait exploser le prix du papier toilette), ou bien des fermetures temporaires en attendant que les prix de l’énergie redescendent.
De son côté, Arcelor-Mittal, face à la baisse de la demande et à la flambée de l’énergie, réduit sa production et ferme « provisoirement » deux de ses hauts-fourneaux en Europe. Le sous-traitant automobile Dr Schneider, la chaîne de boutiques de chaussure Görtz ont annoncé leur faillite. D’autres sont en cours…
Ce n’est qu’un début. La situation devrait empirer cet hiver quand les coupures d’énergie vont se généraliser, quand les investisseurs vont vouloir sortir du bourbier économique européen, quand les Etats ne pourront plus s’endetter sur les marchés financiers et donc ne pourront plus renflouer les industriels lesquels n’arriveront plus à revendre leurs productions hors de prix à des Européens au chômage, victimes d’une inflation incontrôlée.
Par effets induits, l’industrie européenne s’effondrera pour le plus grand profit de la concurrence états-unienne où les prix de l’énergie sont dix fois moins chers que chez nous, sans risque de coupures.
De facto, des délocalisations sont à prévoir. Pas des usines : des installations comme les hauts-fourneaux ne sont pas délocalisables, mais les capitaux seront investis outre-Atlantique, des transferts de compétences et des mutations de salariés.
Le gouverneur de l'Oklahoma énumère les avantages de cet état du sud des Etats-Unis pour les investisseurs dans une interview au quotidien allemand des affaires, le Handelsblatt. Soixante entreprises allemandes dont Lufthansa, Aldi, Fresenius et Siemens ont déjà fait leurs calculs pour s’implanter en Oklahoma. À la clé, 300 millions de dollars d'investissements dans la région. Ne laissant qu’un champ de friches industrielles derrière eux et des millions de chômeurs, les financiers s’en sortiront bien.
Les Etats-Unis n’ont jamais créé autant d’emplois industriels que cette année : 350 000 en un an seulement avec une augmentation de la construction d’usine de 116 %. L’Etat fédéral va investir 53 milliards rien que dans l’industrie des micropuces en 2022 et 37 milliards d’investissements dans les voitures électriques. D’autres encore, sont prévus dans la chimie, le sanitaire etc.
En tout ce sont 500 milliards de dollars d’investissement programmé par l’Etat, sous couvert d’écoblanchiment (greenwashing) pendant que nous, en Europe, dépensons 250 milliards d’euros juste pour renflouer des entreprises « zombies »[3]
Mais il n’y a pas que l’Etat américain qui investit dans son industrie : Micron Technology va investir 150 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie dans la fabrication de microprocesseurs. Désormais, il semble évident que l’avenir du bloc industriel occidental est aux Etats-Unis et non plus en Europe.
D’autres facteurs conjoncturels comme, entre autres, l’escalade militaire en Chine pousse les investisseurs américains à sortir de ce pays pour mieux investir chez eux.
Il n’est finalement pas utile qu’une guerre se déclenche : les sanctions permettent aux Etats-Unis de mettre hors-jeu ses deux principaux concurrents industriels que sont la Chine et l’Allemagne ; l’Amérique devient dès lors une « valeur refuge » pour les industries.
Conséquences directes : une masse énorme de capitaux étrangers afflue dans le pays permettant à l’Etat américain de réindustrialiser massivement et à moindre frais. Un retour sur investissements.
Quant à la dépendance énergétique et économique de l’Europe envers les Etats-Unis, elle va s’aggraver d’année en année assurant ainsi la soumission de tout un continent (l’Europe) qui va s’aligner dans tergiverser sur les intérêts Etats-Uniens.
Retenez bien que la situation en ce moment profite comme jamais à une très grande partie de la bourgeoisie américaine, celle-là même qui possède les médias et finance les campagnes électorales des candidats européens[4]…
Cette situation, malgré tout, ne fait pas que des heureux en Europe chez les dirigeants politiques ou la grande bourgeoisie : il y a tout un pan de la bourgeoisie industrielle d’Europe qui va perdre beaucoup au jeu des sanctions, par la fermeture d’usines, par l’augmentation des prix, par la crise financière, par la faillite comptable des Etats européens mais, surtout, par la paupérisation de millions d’européens qui vont faire chuter la consommation intérieure.
Quant à nos gouvernements, ils vont devoir payer le prix politique de leur soumission, de leur asservissement à des intérêts étrangers, de leur collaboration active au démantèlement méthodique de notre pays et de nos institutions.
La colère des peuples peut être redoutable : plusieurs manifestations non relayées par les médias, ont mobilisées plusieurs centaines de manifestants partout en Europe, des dernières semaines (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Italie, Espagne, France…).
Plus on va aller vers l’hiver, plus cette crise historique va s’aggraver, plus les revendications légitimes de vouloir mettre fin aux sanctions pour pouvoir réimporter du gaz russe et se sortir de ce bourbier montent en puissance, notamment en Allemagne.
Parce que l’Allemagne a une double particularité :
* c’est la première puissance industrielle européenne (29 % de son PIB), et c’est donc elle qui a la bourgeoisie qui a le plus à perdre avec ces sanctions ;
* en Allemagne, il y a le Nord Stream 1 et 2 qui par simple décision politique, permet d’importer 110 milliards de m3 de gaz/an. Donc, à tout moment, sous la pression du peuple instrumentalisé par cette bourgeoisie industrielle allemande qui va tout perdre dans cette histoire, le gouvernement allemand peut décider de réimporter massivement du gaz russe et tenter d’éviter ainsi l’effondrement du pays.
En réalité, le maintien de ces sanctions à l’intérieur de l’Europe sont tellement contradictoires, créent tellement de tensions, desservent tellement les intérêts de beaucoup d’hommes d’affaires puissants, créent une telle instabilité, qu’il n’est pas idiot de penser que les gouvernants qui voudront sauver leur peau auront peut-être le déclic de ne pas attendre la dernière extrémité, celle qui rendrait tout retour en arrière impossible.
C'était sans compter avec les sabotages et, les gazoducs étant hors d’état de fonctionner, l’importation de gaz russe par le nord est devenue techniquement impossible. Quant à l’Ukraine où passent d’autres gazoducs qui relient l’Europe à la Russie, son président et ses acolytes ne s’opposeront jamais aux intérêts des Etats-Unis dont ils sont totalement dépendants (les aides financières tombent toutes les semaines).
Il ne reste qu’un gazoduc de moindre capacité passant par la Biélorussie et la Pologne, insuffisant pour assurer le sauvetage de l’Europe économique.
Concrètement, ce sabotage est une assurance que les pays européens iront bien au bout des sanctions sans avoir la possibilité de faire marche arrière. Qu’importe les conséquences : la ruine de l’Europe, la misère des peuples, il n’y aura plus de gaz russe parce que les installations ont été sciemment détruites. Les Européens n’ont plus les moyens techniques de revenir en arrière et devront aller au bout de ce suicide politique, économique et financier qui résultent de ces sanctions imbéciles, garantissant aux Etats-Unis de récolter les fruits de cette faillite européenne .
Au prix de quelques kilos de TNT posés au bon endroit, les Etats-Unis qui avaient vainement tenté d’empêcher la construction du Nord Stream 2 par des sanctions extraterritoriales, sans y parvenir, viennent de réussir à interrompre le fonctionnement des deux gazoducs grâce à la guerre en Ukraine.
Et par la magie d’un sabotage providentiel, ils viennent de s’assurer de l’asservissement de l’Europe aux intérêts américains. Bien sûr, nous n’avons pas les preuves matérielles de qui a fait quoi, mais nous connaissons les conséquences à court terme et cela suffit à forger des convictions. Tout comme l’eurodéputé Radoslaw Sikorski qui a tweeté : « Thank you, USA ».
Nous allons vivre des moments difficiles, et une grande instabilité politique qui nous donnera l’occasion de balayer cette oligarchie incompétente et corrompue. Nous n’avons plus le choix et rien à perdre : il va falloir y aller…
Ensemble, nous pouvons changer les choses. Soyons solidaires.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000046331146/#:~:text=Dans%20les%20r%C3%A9sum%C3%A9s-,Arr%C3%AAt%C3%A9%20du%2022%20septembre%202022%20relatif%20aux%20dispositifs%20de%20comptage,publics%20de%20distribution%20d'%C3%A9lectricit%C3%A9
[2] Une obligation d'Etat est un titre de créance qui est émis directement par un Etat (par exemple, la France) se positionnant alors comme emprunteur.
[3] Au regard de sa faible productivité, de sa dette élevée, de sa rentabilité faible, de sa petite taille aussi, c’est une entreprise qui devrait disparaître et qui pourtant survit, notamment en bénéficiant, malgré ses-ces difficultés, de conditions de financement avantageuses
[4] https://www.capital.fr/entreprises-marches/google-va-financer-des-projets-de-8-medias-francais-1447539
Tags : Nord Stream, à qui profite le crime, sabotage, accident, gazoduc, Europe, vulnérabilité, crise énergétique, sanctions, Russie, Etats-Unis
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Commentaires
2MensyvesSamedi 8 Octobre 2022 à 15:37Bonjour,je rejoins votre avis,c'est une évidence que les USA veulent à tout prix gouverner le monde et se servent des occidentaux pour arriver à leur fin. Il est nécessaire que les peuples occidentaux ouvrent les yeux sur leur dirigeant et mettent fin à tous ces agissements de nos chefs d'état. Merci de votre analyse.-
AthenaDimanche 9 Octobre 2022 à 15:03Bonjour, Merci d'avoir pris quelques minutes pour lire cet article. Si vous avez des suggestions relatives à des sujets particuliers qui vous intéressent et que nous pourrions traiter sur ce blog, n'hésitez pas à nous en faire part dans la rubrique "page blanche" ouverte à tous. Bien cordialement.
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3shogunMercredi 12 Octobre 2022 à 08:40Arithmétique pour attardés. Les USA tirent 200 missiles sur la Syrie : des milliers de civils morts = efficacité chirurgicale des Yankees pour la liberté. La Russie tire 200 missiles sur l'Ukraine : 11 morts = massacre, holocauste, crimes de guerre. Rien de plus, c'est tout.
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AthenaMercredi 12 Octobre 2022 à 15:16Concernant la Syrie, vous parlez de la dernière frappe destinée "à éliminer deux responsables de Daesh" ? Ou bien plus généralement ?
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4Daniel ANDREJeudi 20 Octobre 2022 à 11:08Excellent article. L'Europe et la France se sont mises dans une situation catastrophique et une dépendance dont il sera très difficile de sortir. Les gouvernements actuels et l'Europe ne survivront pas aux colères des peuples. Nous devons tout changer le plus rapidement possible.
En France, je crois que seul Eric Zemmour a mesuré l'ampleur des problèmes qui nous attendent et aura le courage de s'y attaquer..
5Didier ChabailléVendredi 6 Janvier 2023 à 13:53
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Bonsoir,
J'ai particulièrement apprécié cet article qui met bien en exergue les intérêts des Etats-Unis et les compromissions de nos dirigeants. Si seulement cela pouvait amener un sursaut de conscience et de compréhension chez nos concitoyens !
C'est un bon début. Merci pour ce travail de fond.