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Déboires en série pour la Bundeswehr (armée allemande)
La faillite des équipements radio
L'actuel ministre fédéral de la Défense Boris Pistorius s’est montré récemment « quelque peu ennuyé » pour répondre aux parlementaires et aux journalistes. La raison en est l'incident plutôt embarrassant des matériels radio. La Bundeswehr avait commandé à Rohde & Schwarz des équipements radio numériques de pointe pour environ un milliard d'euros. Ceux-ci étaient destinés aux quelque 13 000 véhicules de la « Chancellor Division ». Cette unité, la 10e Division blindée, devrait être à la disposition de l'OTAN en tant que grande unité pleinement opérationnelle à partir de la fin de l'année prochaine. Le chancelier Olaf Scholz l'avait promis à l'OTAN après le déclenchement de la guerre en Ukraine, d'où le nom de l'association.
Cependant, la condition préalable à la capacité opérationnelle de la « Chancellor Division » est sa modernisation numérique, car – et ce n’est pas étonnant – la Bundeswehr est également aux prises avec la numérisation ; elle est particulièrement en retard par rapport aux autres partenaires de l’OTAN. Mais tout cela a tourné à la farce et a encore une fois provoqué le ridicule parmi les partenaires de l’alliance. Apparemment, le service des achats de la Bundeswehr à Coblence, responsable des équipements radio, n'avait pas communiqué correctement avec l'autre service des véhicules. Résultat : la Bundeswehr dispose désormais de radios numériques ultramodernes, mais dans leur état actuel, elles ne rentrent pas dans les véhicules qui leur sont destinés. Aujourd’hui, l’ensemble du processus d’installation a été retardé d’au moins un an. Et cela coûtera également beaucoup plus cher.
Ce n’est pas le premier incident coûteux de la Bundeswehr. Au contraire. L’armée allemande a une histoire peu glorieuse en matière de système d’approvisionnement. Qu'il s'agisse de radios, de drones ou d'armes à feu, rien ne se passe comme prévu…
Des fusils qui ne sont pas opérationnels.
Lors du déploiement en Afghanistan, les soldats de la Bundeswehr se sont rendu compte que leurs fusils n'étaient malheureusement pas adaptés au tir.
En effet, le fusil standard de la Bundeswehr, le G36, avait une fâcheuse caractéristique :
- * Le canon de l'arme devenait si chaud après plusieurs centaines de coups que la précision diminuait rapidement. À une distance de 300 mètres, seul un tir sur trois a atteint sa cible. Le commandement opérationnel s'est donc senti obligé de conseiller aux soldats d'étudier les instructions d'utilisation dans ce cas de figure qui consiste à laisser le canon "refroidir jusqu’à ce qu’il soit possible de le tenir à la main sans se brûler" !
Un drone de reconnaissance inadapté
Peu de temps auparavant, Thomas de Maizière, alors ministre fédéral de la Défense (2011 – 2013), est arrivé dans ce ministère avec une réputation de « Ministre Flawless» (impeccable). Mais, après s’être complètement fourvoyé en initiant la commande d’un drone de reconnaissance, il a ensuite été surnommé « Ministre Clueless » (désemparé) par les membres de la commission de la Défense du Bundestag.
La La raison de la perte rapide de réputation du ministre est la débâcle relative à l'acquisition du drone de reconnaissance « Euro Hawk », qui a coûté aux contribuables une somme à trois chiffres en millions. Le drone géant était destiné à utiliser sa technologie de capteurs pour écouter les conversations téléphoniques et autres communications à haute altitude et les signaler par radio, à la station au sol. Mais ce projet d'un million de dollars a connu une fin encore moins glorieuse que les radios inadaptées ou le fusil, qui n'était que partiellement utilisable : le super drone de Maizière n'a jamais été mis en service du tout. Car il est rapidement devenu évident que l’appareil commandé aux Etats-Unis, n’était pas autorisé à voler en Allemagne... Lorsque le ministre a finalement arrêté le projet, 300 millions d'euros avaient déjà été gaspillés.
Mais Thomas de Maizière ne faisait que perpétuer une vieille tradition au sein de la Bundeswehr.
Une nouvelle usine pour faire plaisir à qui ?
Ursula von der Leyen lui a succédé en tant que ministre fédérale de la défense /12/2013 – 17/07/2019). Dès le mois de décembre 2013, alors que l’armée lui reproche ses méthodes de travail, elle est régulièrement accusée de mauvaise gestion du budget de son ministère. Arrivée pour mettre de l’ordre dans les contrats d’armement et remédier à l’obsolescence du matériel militaire, il lui est reproché de n’accomplir cette mission que partiellement. Des avions de chasse et de transport militaire resteront cloués au sol et de nombreux hélicoptères ne seront jamais en état de voler…
Aujourd’hui encore, personne ne sait vraiment qui a eu cette idée (tous les hauts-fonctionnaires du ministère nient en être responsables) selon laquelle la Bundeswehr avait besoin d’une usine pour produire ses propres médicaments et produits cosmétiques. Au total, environ 20 millions d'euros ont été consacrés à la construction de la nouvelle usine avant que le Contrôle fédéral des finances estime que la Bundeswehr obtiendrait nettement moins cher si elle commandait ses produits cosmétiques tels que les sprays nasaux, les crèmes solaires ou les sticks de protection pour les lèvres auprès de la société « Rossmann » fournisseur historique de l’armée.
Des aéroglisseurs qui ne glissent pas !
L'achat des aéroglisseurs est également devenu une blague - tous les prototypes testés ont lamentablement échoué lors des tests, ils ne glissaient pas ! Lorsque les « turbulences » ont finalement cessé et que le projet a été arrêté, des millions supplémentaires avaient déjà été dépensés.
En Allemagne le nom d'Ursula von der Leyen est surtout lié à un scandale en tant que ministre de la Défense.
L’histoire remonte à 2018. Un rapport de la Cour fédérale des comptes l’épingle pour l’attribution de 375 contrats à des consultants externes pour un projet informatique entre 2015 et 2016. Un recours jugé abusif et qui représente 250 millions d’euros de dépenses pour le ministère de la Défense.
L’autre problème, c'est qu'une partie de ces contrats a été attribuée sans l’appel d’offres prévu dans ce cas. Ursula von der Leyen a reconnu que tout n’était pas clair mais elle a insisté sur le besoin de "savoir-faire extérieurs". C'est pourquoi la Commission défense du Bundestag, le Parlement allemand, a ouvert une commission d’enquête.
Car pendant ces années où Mme von der Leyen a dirigé le ministère allemand de la Défense, celui-ci a accumulé les problèmes de gestion, les dizaines de millions d'euros dilapidés sans contrôle pour payer des consultants, conseillers et autre sous-traitants privés. "Il y en a pour près de 100 millions", affirme l'hebdomadaire Focus, en se basant sur un rapport d'enquête qui vient d'être rendu public et qui s'avère "dévastateur" pour l'ex-ministre.
Ce rapport qui a nécessité un an de travail, a été rédigé par les députés issus de l'opposition ayant participé à la commission d'enquête parlementaire sur cette affaire. Les conclusions des députés Verts, libéraux-démocrates et du Parti de Gauche qui sont accablantes, reprises également par Der Spiegel : « Sous l’égide de Ursula von der Leyen, le ministère de la Défense est devenu une mine d’or pour McKinsey » …/… « le rapport d'enquête de l'opposition met en avant la responsabilité inévitable de l'ex-ministre, qui était tenue au courant des problèmes rencontrés à cause de tous ces contrats, mais n'a jamais fait mine de mettre fin aux mauvaises pratiques. La gestion du ministère a été "un échec complet", dixit le rapport, avec des procédures de contrôle des contrats de consulting qui n’étaient pas respectées, et cachaient souvent des liens de copinage, de connivence entre hauts fonctionnaires et lobbyistes privés ».
Pire encore, rappelle Politico, Ursula von der Leyen a tenté de faire obstruction à l'enquête parlementaire, quand on s'est rendu compte que ses deux téléphones portables professionnels saisis pour les besoins de l'enquête avaient été consciencieusement expurgés de tout message avant d'être livrés à la commission…
A présent "il n'y a plus guère de doute sur la raison véritable qui a poussé Ursula Von der Leyen à fuir à Bruxelles" résume le chef du service investigation de Die Welt, Wolfgang Büscher pour qui l'ex-cheffe de la Bundeswehr est bien coupable, je cite, d'avoir laissé ces "oiseaux parasites que sont les consultants privés faire leur nid au ministère de la Défense", d'avoir donné les clés de la Défense nationale, à travers ces lobbyistes, aux intérêts des grandes compagnies du secteur de l'armement en particulier.
Bévues en série
Avec Christine Lambrech) qui a succédé à Mme Von der Leyen en tant que ministre de la Défense du 08/12/2021 au 17/01/2023.
Mais au début janvier 2023, Christine Lambrecht, fragilisée par une série de gaffes, a présenté sa démission au chancelier Olaf Scholz, dans une déclaration transmise à la presse. Cette démission intervenait au moment où l'Allemagne était de nouveau mise sous pression par la Pologne pour livrer des chars à l'Ukraine.
Âgée de 57 ans, ex-ministre sociale-démocrate de la Justice dans le précédent gouvernement de coalition d'Angela Merkel, Christine Lambrecht avait enchaîné les bévues depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février. Elle avait suscité les critiques de Kiev en annonçant l'envoi de 5.000 casques, quand le régime de Volodymyr Zelensky demandait des armes lourdes.
Une vidéo dans laquelle elle présentait ses vœux début janvier lui avaient aussi valu railleries et critiques. La ministre y apparaissait dans le centre de Berlin, décoiffée par des bourrasques, en train d'évoquer la guerre en Ukraine entre deux explosions de pétards et de feux d'artifices, particulièrement prisés des Allemands pour fêter la nouvelle année : « Une guerre fait rage au milieu de l'Europe. J'ai pu en tirer de nombreuses impressions particulières », glissait en outre la ministre au sujet de l'invasion russe, évoquant « beaucoup, beaucoup de rencontres avec des gens intéressants et formidables ». « Pour cela, je dis un grand merci » …
Les craintes de la Cour des comptes pour l’avenir
La construction d'une « salle de simulation cible » pour 16 millions d'euros est devenue elle aussi, « légendaire ». Le seul problème était que l'écran de projection de la salle ne pouvait pas être nettoyé des traces laissées par les munitions et les balles.
Selon le Contrôle fédéral des finances, même l'appareil de nettoyage fabriqué à partir de poils d'oreilles de bovins sud-américains, commandé pour un million d'euros, s’est révélé inopérant.
Les critiques de la Cour des comptes à l'égard de l'acquisition d'armes légères, qui n'étaient que partiellement adaptées aux besoins des troupes, ont été encore plus dévastatrices. Et chaque fois que le sujet de la gestion inefficace de la flotte revient sur le tapis, les auditeurs de la Cour s'écharpent vigoureusement.
Une déroute financière généralisée ?
Les auditeurs de la Cour des comptes craignent que cela ne soit que le début d’une déroute financière généralisée, et que la situation puisse encore empirer. Une fois que la Bundeswehr aura accès à la totalité les ressources du fonds spécial de 100 milliards, on peut craindre une vague de gaspillage encore plus importante. Car, selon le raisonnement évident des auditeurs de la Cour, si le ministère fédéral de la Défense de la Bundeswehr ne parvient déjà régulièrement pas à effectuer des achats à une échelle restreinte, comment va-t-il procéder à l'avenir avec des achats à grande échelle, beaucoup plus coûteux ?
Construction de nouveaux sous-marins
En septembre dernier, Boris Pistorius, ministre fédéral de la Défense, a visité le chantier naval de Thyssenkrupp Marine Systems GmbH, pour inaugurer les débuts de la production de six nouveaux sous-marins de classe 212CD.
D'ici 2034, quatre sous-marins de la nouvelle classe 212CD seront construits pour la Norvège et deux pour la marine allemande. Tout le monde croise les doigts pour qu’ils soient pleinement opérationnels et qu’il n’y ait pas de voies d’eau intempestives sur les parties les plus sensibles d’un navire, comme les joints, les vannes ou les évents…
Mais, selon la commissaire à la défense du Bundestag, ce ne sont pas 100 mais 300 milliards d’euros dont a besoin la Bundeswehr pour devenir pleinement « opérationnelle », ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. « Nous n’avons pas assez de chars pour pouvoir nous entraîner, il nous manque aussi des bateaux, des navires et des avions », s’est-elle inquiétée, soulignant qu’en raison des équipements livrés à l’Ukraine la Bundeswehr est aujourd’hui encore plus sous-équipée qu’elle ne l’était avant le 24 février 2022…
Selon Sun Tzu (L'Art de la guerre) : « La confusion et le désordre dans une armée offrent la victoire à l’adversaire ». Force est de constater que la Bundeswehr n'est pas la Wehrmacht. (1)
1 - Mot allemand signifiant "puissance de défense" et qui devint en 1935 le nom officiel des armées du IIIe Reich, à l'exclusion des formations armées du parti nazi, les SS.
Tags : Bundeswehr, Boris Pistorius, Armée, opérationnelle, Cour fédérale des comptes, scandale, Von der Leyen, McKinsey, enquête, conflits d'intérêts
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Commentaires
Alain D. nous fait part, comme beaucoup d'entre vous, de ses commentaires par e-mail. Cela dit, l'intérêt technique du sien, eu égard à son expérience professionnelle en la matière, fait que je le poste moi-même dans cet espace pour qu'il soit largement partagé.
" Suite au précédent mail ou certains craignent un conflit généralisé entre l'OTAN et ... La Russie je pense (?). Les avatars de l'Armée Allemande concernant le matériel n'incitent pas à penser qu'un conflit serait possible. A cela il faut ajouter les avatars de notre pauvre armée. Conflit OUI mais défaite en quelques jours!!!! (Sans bombe nucléaire du classique).
Je rappelle: Pour faire la guerre il faut trois choses indispensables: 1) De l'Argent - 2) des camions - 3) du pétrole. C'est sur le point trois que la majorité des armées échouent (le PÉTROLE).
Ce fut le gros problème de la Wehrmacht - C'est le problème des armées de l'OTAN. De plus à l'échelle de l'OTAN, il est indispensable d'avoir une industrie "Militaro-industrielle" prête à servir. Ce qui est loin d'être le cas des pays Otaniens, surtout la France
En ce qui concerne le cas du fusil: exposé tel quel : je plaide en faveur du ministre/ Plusieurs centaines de coups tirés (EN COMBIEN DE TEMPS ???!!!). Il faut savoir qu'une arme qui tire en continue
A) Chauffe: Une mitrailleuse polyvalente type AA52/MG34 ou MG42 etc.... Le canon doit être changé après le tir de 250 cartouches (Le canon est chaud, limite après il se décalibre et devient
inefficace. Il en va de même pour tout type d'armes (Je précise, y compris pour les fusils d'assaut les plus modernes - n'en déplaise aux experts de pissotières ayant un cursus internet ou
de conversations en chambrées devant la boite de bière). Des armes telles le FM 24/29 posait le problème en cas d'utilisation intensive (canon devant être changé en atelier). Il va de soi que
Les utilisateurs de l'époque, n'hésitaient pas à refroidir avec un linge mouillé. Dans certains cas extrêmes en URINANT SUR LE LINGE. Au retour d'opération il fallait faire changer le canon qui
avait souffert et souvent était décalibré. Le BREN Britannique disposait d'un système permettant de permuter à l'image de l'AA52. Ce qui me semble LOGIQUE, mais le STA de l'entre deux guerre
avait une logique basée sur une doctrine rigide. Celle de la tranchée et de la ligne Maginot. Nous avons vu ou cela a conduit le pays.
Mais il faut savoir que les tirs en continu sont souvent pratiqués dans des cas extrêmes (Ex: à Dien Bien Phu, lorsque les viets attaquaient en masse sur l'une de nos positions. Lorsque l'on
tire 250 cartouches ou plus en deux ou trois heures le problème se pose différemment. AX - axdmn@free.fr