• ARMENIE : on ne nous a pas tout dit !

    Arménie : on ne nous a pas tout dit ! par K.B.

    Le 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a lancé une guerre éclair contre le Haut-Karabagh. Immédiatement, le Premier ministre Nikol Pachinian a déclaré que l’Arménie ne se battrait pas. Les forces russes en place, étant des forces de maintien de l’ordre, tout comme le sont les Casques bleus de l’ONU, ce sont des acteurs essentiels pour la résolution pacifique des conflits ; elles ne pouvaient pas prendre les armes, surtout pour intervenir dans un conflit territorial qui engage l’Arménie seulement, et non pas la Russie. En 48 heures, les forces locales ont été dépassées et la Russie a participé aux pourparlers entre elles et l’Azerbaïdjan, afin de garantir au moins la sécurité des populations arméniennes, qui ont ainsi pu quitter leur domicile saines et sauves.

    Le 13 octobre, le président arménien a ratifié le Traité de Rome, reconnaissant la compétence de la CPI (Cour pénale internationale). Même si l’Arménie prétend dépolitiser cet acte, il est significatif que l’allégeance à l’une des juridictions internationales les plus critiquées pour sa politisation intervienne après l'abandon par le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, du Haut-Karabagh et des populations arméniennes qui y vivent, à l’Azerbaïdjan. La signification politique est sans ambiguïté possible : Pachinian fait entrer l’Arménie de plain-pied sous la coupe américaine. Il achève ainsi la mission qui lui avait été confiée depuis son entrée en fonction par ses tuteurs. Par 60 voix contre 20, le Parlement arménien a voté en faveur de la ratification du Statut de Rome le 3 octobre 2023, les deux partis d’opposition se prononçant contre.

    Tout acte prend sa signification lorsqu’il est replacé dans son contexte. 

    En l’occurrence, le contexte est double. A la fois, il s’agit de l’agenda intérieur et de la capitulation au Haut-Karabagh, mais également de l’agenda international et concrètement des instances européennes.
    Le sort du règlement du Haut-Karabagh a été radicalement influencé par la reconnaissance officielle du Haut-Karabagh par Erevan, en octobre 2022 et en mai 2023 lors des sommets sous les auspices de l'Union européenne, comme faisant partie du territoire de l'Azerbaïdjan.

    Ainsi, Nikol Pachinian avait les mains libres, contrairement à la Russie avec son contingent de maintien de la paix.

     La reconnaissance officielle du Haut-Karabagh comme faisant partie du territoire de l’Azerbaïdjan a modifié les conditions fondamentales de la Déclaration des dirigeants de l’Arménie, de la Russie et de l’Azerbaïdjan du 9 novembre 2020, ainsi que la position du contingent russe de maintien de la paix (CRP)
    En effet, les accords trilatéraux au plus haut niveau de 2020-2022, définissaient toutes les étapes d’une solution pacifique au problème du Karabagh, de mettre fin à la confrontation armée et de faire tout son possible pour garantir les droits et la sécurité de la population du Haut-Karabagh…

    Le renoncement à ces accords trilatéraux, l’abandon du Haut-Karabagh par la voix de Pachinian a entraîné l’Arménie dans une fuite en avant sur la scène internationale. Immédiatement, une délégation américaine est arrivée, sur fond d’exercices militaires communs, et la situation fut parfaitement maîtrisée.

    Les «réfugiés» arméniens, c’est-à-dire les populations déplacées, sont pris en charge et répartis dans le pays pour éviter la constitution d’une force socio-politique anti-Pachinian et la ligne politique peut dès lors se durcir. Surtout que les nombreuses manifestations en soutien au Karabagh sont écrasées par la force et dans le silence de la communauté internationale.

    L’étape suivante, très symbolique, est la reconnaissance de la CPI (Cour pénale internationale), juridiction dont la radicalisation politique antirusse a été prouvée par la mise en place d’un accord avec l’Ukraine pour enquêter sur les crimes commis sur le territoire ukrainien (évidemment attribués à la Russie), et par l’adoption le 17 mars 2023, en dehors de sa compétence formelle, d’un mandat d’arrêt contre le président russe.

    Pour info, signalons que le statut de Rome de la CPI compte 123 Etats parties, dont une grande majorité en Europe, en Amérique et en Afrique. Mais, 31 Etats on signé le Statut de Rome SANS l’avoir ratifié dont, les Etats-Unis, l’Ukraine, la Russie, Israël et, jusqu’à récemment, l’Arménie…

    Pourquoi les Etats-Unis se méfient-ils de cette juridiction (CPI) ? 

    Le Pentagone redoute que le partage de preuves constitue un précédent. Les chefs militaires américains craignent en effet que la juridiction internationale puisse poursuivre des citoyens américains voire les Etats-Unis, s'ils venaient à coopérer…

    Oui, mais : les USA influencent quand bon leur semble la saisine de la CPI contre tel ou tel Etat qui leur pose problème, tout en s’exonérant de sa compétence juridictionnelle en ce qui les concerne… Pratique, non ?

    La question qui va se poser ensuite est celle de la présence des bases militaires russes sur son territoire et ainsi, à terme, de son intégration dans l’OTAN. 

    Parallèlement, l’agenda européen se cale dans les interstices américano-arméniens. Ainsi, le vote au Parlement arménien concernant la CPI a été organisé à la veille de la participation de Pachinian à la réunion de la Communauté politique européenne, en Espagne le 5 octobre.

    Cette réunion, sous l’égide du Conseil européen, devait conduire à l’adoption d’une résolution concernant le sort du Haut-Karabagh. Sans même la participation de l’Azerbaïdjan, qui n’a pas vu l’intérêt de se déplacer. L'Arménie a signé une déclaration commune avec le président du Conseil européen, Charles Michel, le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz admettant de facto l'appartenance du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan, en tenant compte des superficies attribuées à chacun des pays : Ils demeurent attachés à tous les efforts en faveur de la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, sur la base de la reconnaissance mutuelle de la souveraineté, de l'inviolabilité des frontières et de l'intégrité territoriale de l'Arménie (29 800 km²) et de l'Azerbaïdjan (86 600 km²), comme indiqué dans les déclarations du président Charles Michel des 14 mai et 15 juillet 2023.

    Il est difficile de ne pas faire un lien entre ces éléments, au regard de l’évolution géopolitique de l’Arménie. Finalement, le Premier ministre arménien a ratifié le Statut de Rome le 13 octobre. La Russie, à juste titre, a considéré cette décision comme un acte inamical. Pachinian, de son côté, continue toujours l'illusoire normalisation du virage géopolitique de l’Arménie et déclare que la reconnaissance par l’Arménie de la compétence de la CPI résulte d’une décision prise antérieurement au lancement du mandat d’arrêt contre Poutine et serait motivée par des considérations de sécurité intérieure.

    Comment la CPI peut-elle garantir la sécurité intérieure arménienne ?

    Soyons sérieux. Cela fait des années que cette institution est accusée de politisation. Tout d’abord, au niveau de sa politique de sélection des affaires à examiner. Les pays comme les Etats-Unis ou Israël, qui ne reconnaissent pas sa compétence, sont hors de responsabilité… En revanche, alors que la Russie n’en est pas membre, la CPI s’est autorisée à lancer un mandat d’arrêt contre deux de ses ressortissants. Deux poids, deux mesures.

    Autre facteur de politisation, son absence de financement durable. Le système des contributions volontaires permet d’orienter l’angle sous lequel la Cour va regarder ce qui se passe dans le monde.

    Alors que la CPI était focalisée sur l’Afrique, actuellement son attention est attirée, notamment financièrement, sur le conflit en Ukraine – scrutant la responsabilité de la Russie.

    Donc revenons à la déclaration de Pachinian : comment l’Arménie entend-elle pouvoir utiliser la CPI pour mieux garantir sa sécurité ? Et surtout contre qui ?

    Le moment du choix de la ratification n’est pas un hasard. Il se place à la fois lors de la radicalisation du conflit qui se déroule en Ukraine, où tous les États sont sommés de se prononcer, puisqu’il n’y a pas de place pour la neutralité dans le monde global.

    Mais également, cette décision est rendue possible par la reddition des forces traditionnelles arméniennes au sein de la politique intérieure, ayant rendu les armes et remettant ouvertement le pays entre les mains des Etats-Unis.

     

     Il reste à espérer que la mise au pas de l’Arménie à long terme demande trop d’investissement en hommes et en argent, et que les Arméniens, ayant chacun des proches en Russie, puissent obliger un retour à la lucidité…

    C’est en fait l’avenir de l’Arménie qui se joue.

     

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